Le 10 juillet 2015 (mise à jour du 14/07/2015)
Les sociétés savantes suivantes : Société informatique de France (SIF), Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI), Société Française de Statistique (SFdS), Société mathématique de France (SMF), Société Française de Physique (SFP), Société Française d’Optique (SFO), Société Chimique de France (SCF), ainsi que la Société Professionnelle des Enseignants et Chercheurs en Informatique de France (Specif-Campus),
ayant pris connaissance du projet d’arrêté sur le doctorat en cours d’élaboration [1], expriment leurs réserves quant à certaines de ses orientations. Les signataires défendent la spécificité et la qualité du doctorat, réclament de la souplesse sur la durée de la thèse et sur la césure, et demandent qu’on ne complexifie pas le suivi individuel.
Qu’est-ce que le doctorat ?
Paradoxalement, le projet d’arrêté parle peu du doctorat, car il se focalise surtout sur ses conditions d’organisation. Or, ce qui fait la valeur du doctorat c’est sa nature spécifique, très différente, par exemple, du diplôme d’ingénieur. En effet, par sa recherche, le doctorant avance en terrain inconnu. Il s’attaque à des problèmes dont nul ne connaît la solution. Chaque doctorat est unique, personnel [2] ; il s’agit d’une véritable aventure de recherche et de gestion d’un projet, concrétisée par une production scientifique à ambition internationale. C’est pourquoi les signataires soutiennent une démarche basée sur l’implication du doctorant dans le développement et la gestion de son propre projet de recherche. Cette démarche requiert flexibilité et créativité, et comporte une véritable prise de risque, pour préparer le doctorant à des défis d’innovation. C’est ainsi que procèdent déjà les meilleures universités françaises et étrangères.
Une définition du doctorat devrait figurer en préalable de l’arrêté. Nous proposons la rédaction suivante : « Le doctorat est un diplôme universitaire de très haut niveau, concrétisant la recherche individuelle du doctorant, et matérialisé par une thèse écrite et une soutenance orale qui sont validées par un jury d’admission, jury composé de pairs dont l’expertise scientifique sur le sujet est reconnue au meilleur niveau international. Le doctorat sanctionne une formation par et pour la recherche, et constitue une expérience professionnelle de la recherche. »
Ouverture vers la VAE et valeur du doctorat
Les associations soussignées sont sensibles à la volonté d’ouverture dont témoignent des mesures comme le temps partiel, la possibilité de césure, ou la validation des acquis d’expérience (VAE). Mais celle-ci ne doit pas permettre un doctorat au rabais. Les pratiques varient entre disciplines, et il ne saurait y avoir une métrique unique pour juger de la valeur d’une thèse ; cependant, il faut que tous les doctorats sanctionnent un travail scientifique qui fait avancer qualitativement la connaissance. Dans tous les cas, y compris dans celui d’une VAE, l’attribution du doctorat doit respecter la définition ci-dessus. En particulier, la nomination du jury et des rapporteurs doit obéir à des critères transparents, établis par l’École Doctorale.
Durée et césure : de la souplesse
Le projet d’arrêté limite la durée de la thèse à trois ans, avec la possibilité de dérogation ; cependant on sent une volonté de gestion stricte de la durée. Certes, il faut éviter les abus, et il faut que le travail du doctorant soit rémunéré. Néanmoins, Il faut laisser de la souplesse, pour s’adapter à la prise de risque, inhérente à la démarche de recherche. Une limitation arbitraire et administrative ne se fera qu’au dépens de la qualité. Trois ans sont insuffisants, par exemple, pour certains projets expérimentaux ou interdisciplinaires.
Les textes actuellement en vigueur interdisent de fait l’interruption de la thèse (sauf pour longue maladie ou maternité), ce qui ne manque pas de poser problème. Le nouvel arrêté ouvre la possibilité d’une « césure » ne comptant pas dans la durée de la thèse (limitée à une seule césure d’un an maximum). Les signataires saluent cette souplesse nouvelle, et proposent d’élargir ce régime, en permettant la pratique, largement utilisée à l’étranger, d’« internship » ou stage doctoral. Un doctorant qui le demande aurait la possibilité d’interrompre son travail de thèse par un ou deux stages, de trois à six mois, dans un autre laboratoire ou dans l’industrie, en France ou à l’étranger. Ces stages créent des fenêtres d’ouverture hors du laboratoire, enrichissent les connaissances du doctorant, lui permettent de s’intéresser à des problèmes et des solutions autres, d’améliorer son réseau et son CV, et de mûrir sa recherche.
Oui au suivi individuel, non à la complexité inutile
Le nouvel arrêté institue une procédure de suivi individuel du doctorant (charte, comité de suivi, portfolio). Ces mesures utiles sont déjà pratiquées à des degrés divers dans plusieurs de nos écoles doctorales. Il ne faut pas ajouter des complications administratives qui rigidifient les pratiques et dont l’effet serait contraire au but recherché.
Une centralisation de tous les financements de thèse au niveau de l’établissement, comme semble le prescrire l’article 9, est à éviter absolument. Ce serait en complète contradiction avec le financement sur projet, et avec la diversité des sources de financement. Le risque est, par exemple, de dissuader chercheurs et entreprises de monter des projets de recherche ou des collaborations permettant ces financements.
[1] Notre analyse s’appuie sur la version V2 du projet d’arrêté, datée du 2 juin 2015.
[2] Même si la recherche est réalisée, le plus souvent, au sein d’une équipe, il doit y avoir un apport personnel identifiable et publiable du doctorant.